Les 50 ans du WRC - Retour dans les années 1990
Il Canto degli Italiani. Le Championnat du Monde FIA des Rallyes s'était habitué aux chants italiens avant d'entrer dans une nouvelle décennie.

Avec Lancia et Miki Biasion, l'hymne italien était un peu devenu la bande son officielle de la discipline. Toyota et Carlos Sainz, entre autres, étaient prêts à changer la donne à l'aube d'une nouvelle décennie.
L'Espagnol allait toutefois mener les efforts du constructeur japonais sans Juha Kankkunen à son côté dans une autre Celica. Alors double champion du monde, le Finlandais s'était lassé des problèmes de fiabilité ayant rythmé la première saison complète de la GT-Four et avait commencé la saison 1990 avec une Lancia aux couleurs Martini.
Les Japonais sur le toit du monde
Du côté de Mazda, difficile d'évoquer les années 1990 comme le début d'une nouvelle ère en WRC. La Mazda 323 ayant remplacé la RX7 à moteur rotatif était un pilier de la discipline depuis des années et une sérieuse prétendante à la victoire sur des épreuves comme la Suède ou la Grande-Bretagne, mais l'équipe d'Achim Warmbold n'avait pas les ressources nécessaires pour combattre la puissance de Lancia.
En revanche, c'était une tout autre histoire pour Toyota. Menée par Ove Andersson à Cologne, l'alliance entre l'un des plus grands constructeurs automobiles au monde, des ingénieurs allemands et un Suédois rusé allait bientôt porter ses fruits au plus haut niveau.
Le début de la décennie livrait toutefois un résultat familier puisque la Lancia Delta HF Integrale remportait le Rallye Monte-Carlo avec le Français Didier Auriol au volant.
Le nouveau règlement avait introduit des brides, dans un effort des instances dirigeantes pour maintenir les voitures du Groupe A à une puissance de 300 chevaux. Une bride de 40 mm était en place pour la première manche, mais les contrôles sur les turbos n'étaient pas aussi stricts qu'ils aurait dû l'être. Toyota portait une réclamation contre Lancia, sans succès même si la FISA mettait immédiatement en œuvre le processus de scellage des turbos.
Quelques années plus tard, Toyota se retrouverait au cœur d'une nouvelle affaire liée au turbo...
Après avoir dicté le rythme sur un Monte-Carlo sec, Didier Auriol trouvait un petit plus pour se mettre à l'abri dans les six dernières spéciales. Lancia évoquait une nouvelle puce dans le boîtier de commande électronique, mais cette augmentation du rythme faisait soulever de nombreux sourcils chez Toyota.
Le manque de neige marquant l'ouverture de la saison dans les Alpes se faisait plus durement sentir à Karlstad, où le Rallye de Suède avait lieu dans un hiver horriblement doux.

Deuxième au Portugal, puis victorieux en Corse, Didier Auriol s'envolait au championnat face à Carlos Sainz frustré d'avoir rencontré un local en marche arrière sur une spéciale de l'île de beauté et un taureau errant dans le test suivant. Parti débattre de ces incidents avec Jean-Marie Balestre, président de la FISA, l'Espagnol se voyait répondre : « Les pilotes de rallye doivent s'attendre à faire face à l'inattendu. »
Toute frustration était toutefois oubliée dès la manche suivante en Grèce, où Carlos Sainz signait sa première victoire en mondial.
Relégué à vingt-cinq points de Didier Auriol avant l'Acropole, le Madrilène réduisait son déficit à cinq unités grâce à son succès sur une épreuve où beaucoup craignaient que la vitesse toujours croissante des épreuves européennes du calendrier ne révèle les faiblesses techniques de la Celica. Malgré des soucis de direction assistée et de boîte de vitesses, le Madrilène était sauvé par son assistance.
La chance d'El Matador semblait avoir tourné.
Fort d'une deuxième victoire en un mois en s'imposant en Nouvelle-Zélande, où Lancia avait choisi de faire l'impasse, Carlos Sainz s'emparait des commandes du classement général. Plus rien ni personne n'allait déloger la Celica de l'Espagnol du sommet d'ici la fin de la saison.

Avec son premier titre quatre ans seulement après ses débuts en WRC, Carlos Sainz réalisait un exploit en mettant fin à la domination des pilotes Lancia sur la couronne. Les Italiens étaient cependant sacrés chez les constructeurs jusqu'en 1990...
Avant de s'aventurer plus profondément dans la décennie, impossible de ne pas évoquer deux moments clés en 1990.
Le premier était la victoire de Carlos Sainz en Finlande. L'Espagnol devenait le premier pilote non nordique à remporter le Rallye des 1000 Lacs. Plus que son succès, sa manière de s'imposer était tout aussi impressionnante puisqu'il s'était blessé à la cheville gauche dans un accident lors des reconnaissances à la veille du départ. Le pied avait tellement enflé qu'il avait associé sa bottine droite avec une chaussure de squash à gauche. Freiner du pied gauche n'était pas envisageable. Malgré tout, Carlos Sainz brisait les cœurs des fans finlandais en faisant preuve du sisu nécessaire pour reconquérir ces mêmes cœurs.
En parallèle, deux nouvelles voitures faisaient leurs débuts. La Volkswagen Golf G60 s'annonçait intéressante avant d'être rapidement et discrètement abandonnée (la marque allait revenir en se montrant beaucoup plus conquérante dans les années à venir…). L'autre n'était autre que la Subaru Legacy RS. Dès ses débuts au Rallye de l'Acropole, Markku Alén remportait la toute première spéciale en mondial de cette voiture préparée par Prodrive. Les graines de la révolution des moteurs quatre cylindres à plat de Subaru avaient été semées...

Carlos Sainz n'était pas le seul pilote à être sacré pour la première fois en 1990. La première année de la nouvelle décennie était également synonyme de Coupe des Dames, dont l'Écossaise Louise Aitken-Walker était la première lauréate malgré un accident terrible au Rallye du Portugal avant de rebondir pour s'offrir la couronne avec une Opel Kadett d'usine.
Avec cinq victoires en huit départs en 1991, Carlos Sainz semblait en mesure de défendre son titre avec succès après leur triomphe au Rallye d'Argentine. Las, un spectaculaire accident provoquait son abandon en Australie et le laissait avec une minerve pour la manche suivante au Sanremo. Des problèmes de direction assistée n'aidaient pas sa récupération et l'Espagnol devait se contenter de la sixième place.
Sa manche à domicile, pour la première fois en Catalogne, lui apportait davantage de malheurs. Rapidement en tête, le héros local était contraint à l'abandon lorsque sa Toyota Celica refusait de sortir du parc fermé... Son avance de quarante points était réduire à néant face à Juha Kankkunen avant la finale au RAC. Des problèmes moteur à Kielder achevaient les espoirs de doublé de l'Espagnol et offraient sur un plateau une première couronne à son rival finlandais dans les années 1990.
Les plus grands pilotes du WRC : Carlos Sainz
Grands changements, mêmes résultats
En tant que président de la commission des constructeurs de la FISA, Max Mosley souhaitait voir des changements en WRC : des épreuves plus compactes, pour être encore plus attractives envers les constructeurs automobiles.
Les reconnaissances étaient réduites de trois jours et les rallyes en eux-mêmes étaient raccourcis d'un jour avec moins d'assistances. Face au développement continu des voitures et des puissances croissantes se rapprochant de l'ère du Groupe B, la bride de 40 mm était aussi réduite à 38 mm.
Voilà pour les changements de règlementation. Le plus grand changement pour les fans avait toutefois lieu dans une salle de conférence à la périphérie de Turin : la fin de la participation de Lancia en Championnat du Monde des Rallyes. Après 1992, les efforts de la marque seraient repris par le Jolly Club, avec le savoir-faire et l'assistance d'Abarth.
Ironie du sort, Lancia gardait le meilleur pour la fin. La Delta HF Integrale, mieux connue sous le nom de Deltona, était sans aucun doute l'une des voitures de production les plus axées compétition de l'ère du Groupe A. Elle était plus large, plus rapide, offrait plus de débattement de suspension et était plus belle que n'importe laquelle de ses aïeules. Si elle offrait un nouveau titre constructeurs au nord de l'Italie, elle abandonnait ses pilotes dans leurs tentatives de gloire tout au long de la saison.
D'une manière ou d'une autre, Didier Auriol battait des records avec six victoires en une seule saison, mais le pilote Lancia manquait tout de même la couronne lors d'une finale à trois l'opposant à son équipier Juha Kankkunen et la Toyota de Carlo Sainz au RAC Rally 1992.
Carlos Sainz éclipsait ses mauvais souvenirs de l'automne 1991 en remportant à la fois sa manche à domicile en Espagne et le RAC pour s'offrir un deuxième titre en trois ans.
De retour chez Toyota en 1993, Juha Kankkunen devenait le premier pilote à remporter quatre titres mondiaux tandis que la décision de Carlos Sainz d'opter pour une Lancia Delta privée se retournait contre lui. Privée de tout soutien officiel, la Lancia s'avérait dépassée face aux Toyota Celica Turbo 4WD de plus en plus redoutables.
Toyota n'était plus seul toutefois. La Ford RS Cosworth faisait enfin irruption et frôlait la victoire dès ses débuts avec François Delecour au Monte-Carlo. Ce n'était qu'une question de temps. Dès le Portugal, le modèle s'imposait et Boreham allait récidiver à quatre autres reprises pour une première campagne spectaculaire rappelant à l'ovale bleu les beaux jours des années 1970...

En toute honnêteté, personne n'avait réalisé toute la force du nouveau projet de Ford. Sur le papier, l'Escort remplissait tous les critères pour monopoliser la première place avec un moteur et sa boîte longitudinale offrant une répartition fabuleuse du poids, mais aussi un turbo plus gros équipé d'une injection. Ajoutez cela à une aérodynamique générant de véritables appuis et une géométrie de suspension retravaillée offrant un équilibre parfait et la possibilité de changer de direction en un clin d'œil...
Qu'est-ce qui a mal tourné ? Ford avait du mal à égaler les ressources injectées par Toyota et les querelles politiques continues dans les couloirs de Boreham brisaient toute dynamique. Le plus grand drame concernait François Delecour lui-même. Après ses performances en 1993, le Français était considéré par beaucoup comme le favori pour le titre. Malheureusement, une grave blessure à la jambe après un accident de la route dans la foulée du Rallye du Portugal le privait d'une grande partie de la saison...
La Ford Escort RS Cosworth n'a ainsi jamais vraiment pu tenir ses promesses...
Cela ne voulait pas dire que 1994 était une catastrophe pour les fans français. Bien au contraire même, puisque Didier Auriol remportait le titre pour sa deuxième année avec une Toyota Celica Turbo 4WD, au volant de laquelle il associait performances et régularité pour devenir le premier champion du monde français de l'histoire du rallye.
Subaru et l'Écossais
Il est désormais temps de revenir sur le RAC Rally 1990 pour le début d'une histoire qui ferait la une des journaux pour la suite de la décennie.
Au moment où Carlos Sainz scellait son premier titre en s'imposant à Harrogate, un pilote écossais du nom de Colin terminait sixième dans une Sierra surnommée « The Shed ». McRae était arrivé. Pour être plus précis, McRae Junior était arrivé puisque son père Jimmy s'était imposé dans les années 1970.
David Richards, le directeur de l'équipe Subaru, avait recruté Colin McRae pour le Championnat de Grande-Bretagne en 1991. Âgé de vingt-deux ans, cet originaire de Lanark allait dominer la scène nationale les deux années suivantes, tout en lorgnant de plus en plus sur le mondial. Leader au RAC en 1991, 1992 et 1993, il s'y imposait finalement en 1994.
Le premier succès de Colin McRae en WRC avait toutefois eu lieu une saison plus tôt avec sa Subaru Legacy RS au Rallye de Nouvelle-Zélande. Cette victoire avait déclenché le déploiement de la Subaru Impreza 555 - une voiture devenue synonyme de Colin McRae. Une voiture avec laquelle il remportera son titre mondial en 1995.

L'Écossais s'était battu avec son équipier et rival Carlos Sainz tout au long de la saison, la rivalité interne atteignant son paroxysme en Catalogne, où David Richards favorisait l'Espagnol en demandant à Colin McRae de ralentir. Furieux, le Britannique écopait finalement d'une pénalité de temps, mettant ainsi les deux hommes à égalité de points avant la finale au RAC Rally.
Colin McRae détruisait ensuite Carlos Sainz dans un élan de pure brillance pour l'une des plus belles prestations de la décennie.
Soit dit en passant, vous souvenez-vous de cet exemple où Toyota avait créé de la suspicion sur les turbos des Lancia au Monte-Carlo, près de six ans plus tôt ? Cette histoire est revenue les hanter lorsque les brides des Celica GT-Four s'avérait en dehors de la règlementation à Lloret de Mar. Toyota était rayé des résultats en 1995 et interdit de concourir pendant une saison.
Quant à Colin McRae, un souci mécanique lui coûtait au moins un titre de plus (1997) avant son départ pour Ford et la nouvelle équipe conçue par Malcolm Wilson autour de la Ford Focus dès 1999. Il y avait cependant une autre raison pour laquelle il n'était plus couronné avant la fin des décennies…

Mäk Attaque !
Au début des années 1990, un pilote finlandais peu connu venu de Puuppola tentait de trouver le budget pour un programme avec une Mitsubishi Galant VR-4 (Groupe N) sur plusieurs manches du WRC. Dix saisons plus tard, Tommi Mäkinen était toujours au volant d'une Mitsubishi pour devenir peu après le premier pilote à remporter quatre titres mondiaux consécutifs.
Tommi Mäkinen avait succédé à Colin McRae et restait invaincu pour le reste de la décennie. Tout comme l'Écossais était devenu synonyme de Subaru, Tommi Mäkinen était l'incarnation même de l'équipe Ralliart Mitsubishi dirigée par Andrew Cowan. Malgré cela, le Finlandais avait signé sa première victoire en mondial avec une Ford Escort RS Cosworth d'usine au moment où Ford avait mis Miki Biasion sur le banc de touche. Un pari payant à Jyväskylä.
Avant ce succès, Tommi Mäkinen avait été à deux doigts de tout lâcher après avoir essayé et échoué à trouver une place dans la catégorie reine. Son monde basculait du jour au lendemain et il faisait le choix de rejoindre Mitsubishi.
Le Galant avait offert quelques succès à Ralliart et Mitsubishi, mais la Lancer faisait entrer l'équipe dans une nouvelle dimension. Au fil des années et des évolutions, Tommi Mäkinen enchaînait les victoires et les titres. Basé avec réussite sur un modèle de série, le succès de Mitsubishi se poursuivait en 1997 au moment où d'autres constructeurs choisissait de construire des WRC plutôt que des voitures du Groupe A.

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Le rallye évoluait déjà rapidement lorsque le Championnat du Monde FIA des Rallyes a été lancé en 1973.
En lire plusLa nouvelle ère
Le changement de règlementation vers les World Rally Cars était un coup de génie de la part de la FIA.
Finie la contrainte de produire 5000 voitures à quatre roues motrices et moteur turbocompressé avant un programme de rallye. Une WRC devait provenir d'une famille de voitures à moteur avant produite à un minimum de 25000 unités par an. Le moteur ne devait pas nécessairement provenir de la même famille, mais il devait être produit à au moins 2500 exemplaires. Le modèle de base n'avait même pas besoin d'avoir un turbo ou quatre roues motrices. Ces pièces pourraient être ajoutées dans un châssis massé pour inclure le double des arbres de transmission et un ou deux différentiels supplémentaires.
Dès qu'un constructeur avait choisi les pièces de son puzzle, il devait s'engager à en produire vingt. La recette du succès pour la catégorie reine du Championnat du Monde FIA des Rallyes : sept ou huit marques allaient s'affronter simultanément en compétition.
Mitsubishi a peut-être conclu la décennie en offrant de beaux adieux au Groupe A, mais Subaru et Toyota démontraient déjà la puissance de la nouvelle formule WRC en remportant respectivement le titre en 1997 et 1999.
L'œil des experts

Nous avons demandé l'aide de six experts à la connaissance encyclopédique du WRC pour choisir les plus grands moments des années 1990... Et les réponses sont une fois de plus riches et variées !
Sacré plus grand pilote de l'histoire du WRC sur WRC.com en 2020, Carlos Sainz a fait sensation avec le Toyota Team Europe en 1990. L'Espagnol a remporté son premier rallye en Grèce et a ensuite réalisé ce qui était auparavant considéré comme impossible : s'imposer en tant que non nordique au Rallye des 1000 Lacs (Finlande). Une performance saluée par Reiner Kuhn, Jari-Matti Latvala, Marco Giordo et Julian Porter. Il était le seul pilote non nordique dans les quatorze premiers à l'arrivée...
Carlos Sainz a également remporté son premier titre cette même saison avant une deuxième couronne deux ans plus tard. Il s'agissait du premier des trois triomphes consécutifs de la Toyota Celica ST185, chacun avec un pilote différent puisque Juha Kankkunen et Didier Auriol lui succédaient en 1993 et 1994 comme l'a souligné Jari-Matti Latvala.

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En lire plusLe style unique de Colin McRae est à l'origine de sa popularité et Julian Porter et David Evans ont tenu à souligner sa victoire au RAC Rally 1995, la même lui ayant permis de devenir le plus jeune champion du monde de l'histoire. Un record toujours invaincu...
Son style offensif faisait des merveilles deux ans plus tard en Corse, comme le rappelle Marco Giordo. Colin McRae avait attaqué la dernière journée en quatrième position, mais ses passages époustouflants dans les trente-quatre derniers kilomètres chronométrés lui permettaient de prendre l'ascendant sur le leader Carlos Sainz et les Peugeot 306 Maxi de Gilles Panizzi et François Delecour pour souffler une victoire improbable. Michel Lizin a aussi rappelé l'incident causé par les consignes entre Colin McRae et Carlos Sainz au Rallye d'Espagne 1995.
Deux pilotes ont remporté leur quatrième titre mondial dans les années 1990 : Jari-Matti Latvala a avoué sa préférence pour le quadruplé de Tommi Mäkinen tandis que Julian Porter penche davantage sur la performance de Juha Kankkunen en 1993.
Un autre moment fort pour Michel Lizin a été les deux voyages du WRC en Indonésie au milieu de la décennie, à chaque fois perturbés par des conditions dantesques au cœur de la forêt tropicale.